Notion et cession de droits démembrés 

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Le Code civil, à travers l’article 578, définit l’usufruit comme le droit de profiter des biens d’autrui, instaurant des droits et devoirs pour l’usufruitier et le nu-propriétaire. La question cruciale émerge lorsque l’on aborde la participation de l’usufruitier dans la cession de droits sociaux démembrés. Cette problématique ouvre la porte à une réflexion sur la qualité d’associé, essentielle pour le droit de vote et la participation aux décisions collectives au sein d’une société. Les relations entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, les liens entre la qualité d’associé et le droit de vote, ainsi que les possibilités de dérogation statutaire soulèvent des questions complexes nécessitant une analyse approfondie.  

 

I. La notion de démembrement du droit de propriété d’un bien  

 

Un bien, qu’il soit immobilier ou mobilier peut faire l’objet d’un démembrement du droit de propriété. L’usus correspond alors au droit d’utiliser le bien, le fructus le droit d’en percevoir les fruits et enfin l’abusus, le droit de disposer du bien. Ainsi, plusieurs personnes peuvent détenir ces trois attributs du droit et ceci sur un seul bien. L’article 578 du Code civil précise la notion d’usufruit que nous développerons davantage à travers nos interrogations : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». Coexistent alors nu-propriétaire et usufruitier. En effet, disposer d’un bien en pleine propriété suppose la détention de la nue-propriété ainsi que l’usufruit qui emporte le droit de disposer du bien, de l’utiliser et d’en percevoir les fruits.  

En principe, le nu propriétaire peut disposer du bien (par exemple le vendre) mais ne peut l’utiliser ou en percevoir les revenus. L’usufruitier quant à lui ne peut disposer du bien mais peut l’utiliser (l’occuper par exemple s’agissant d’un bien immeuble) et en percevoir les revenus comme un loyer par exemple.  

 

Dans le cas d’une cession de parts ou actions de société faisant l’objet d’un démembrement de propriété, de quels droits disposent l’usufruitier et le nu-propriétaire ? L’usufruitier peut-il prendre part à une telle cession ?  

 

II. La qualité d’associé : impératif préalable au droit de vote et cession d’un bien démembré ?  

 

L’exercice du droit de vote par l’associé d’une société représente une prérogative essentielle proportionnelle à la quotité du capital qu’il détient. Disposer du droit de vote peut laisser penser que le titulaire a la qualité d’associé. En effet, selon l’article 1844 du Code civil, « Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier. Les statuts peuvent déroger aux dispositions du deuxième alinéa et de la seconde phrase du troisième alinéa ». Cependant, selon un arrêt de la Chambre commerciale en date du 1er décembre 2021, pourvoi numéro 20-15.164 la qualité d’associé est reconnu au nu propriétaire et non à l’usufruitier et ce, quel que soit l’étendue de son droit de vote (1). Selon ce même arrêt, bien que l’usufruitier ne puisse se voir reconnaitre la qualité d’associé, ce dernier doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. L’usufruitier peut il alors être à l’initiative d’une cession de droits sociaux ? La Cour de cassation s’est alors prononcée sur le sujet notamment lorsqu’il a été question de savoir ou non si la cession de l’usufruit emportait l’acquittement des droits d’enregistrement. La Cour affirme alors que l’usufruit n’ayant pas la qualité d’associé appartenant au nu-propriétaire, la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux.  

Ainsi, à première vue, l’usufruitier n’ayant pas la qualité d’associé, ce dernier ne peut procéder à une cession de droits sociaux, cette qualité n’appartenant qu’au nu propriétaire. Or, est-il possible de déroger statutairement à ce schéma. 

 

III. Dérogation statutaire permettant d’étendre le droit de vote de l’usufruitier au détriment du nu-propriétaire ? 

 

Si l’on reprend l’article 1844 du Code civil à la lettre, « Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier ». La chambre commerciale de la Cour de cassation précise alors qu’il est possible de déroger statutairement dès lors que les statuts ne suppriment pas le droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives. En l’espèce, il s’agissait d’un vote en assemblée extraordinaire concernant l’absorption par fusion d’une société civile. L’usufruitier disposait d’un droit de vote exclusif. Selon la cour, cette situation ne pouvait emporter la qualification d’abus du droit de vote contraire à l’intérêt de la société et ceci dans le seul dessin de favoriser l’intérêt personnel de l’usufruitier, les statuts ne dérogeant pas au droit du nu propriétaire de participer aux décisions collectives.  Une fusion absorption n’étant pas un acte anodin, il est intéressant ici de se poser la question des limites de cette dérogation statutaire. L’usufruitier peut être autorisé à exercer de manière exclusive le droit de vote, indépendamment de la nature de la délibération collective en cours et du type d’assemblée générale convoquée (qu’elle soit ordinaire ou extraordinaire). La validité d’une telle disposition statutaire est soumise à la condition du respect du droit de participation aux assemblées, accordé au nu-propriétaire. Cette participation se matérialise simplement par la réception d’une convocation aux assemblées et la possibilité d’assister aux débats tout en ayant la faculté d’exprimer ses observations. En revanche, le nu-propriétaire ne peut avoir droit à cette exclusivité sous peine de voir de telles clauses statutaires frappées de nullité. La Cour de cassation laisse cependant la possibilité de contester cette dérogation statutaire accordée à l’usufruitier sur le terrain de l’abus. Cette notion reste tout de même une notion floue dont les limites sont tout de même assez vagues.  

 

 

IV. La cession de droits faisant l’objet d’un démembrement  

 

Dans le cadre d’une cession de droits faisant l’objet d’un démembrement, l’usufruitier et le nu propriétaire peuvent chacun céder leur propre droit. Ainsi, seulement l’usufruit peut être cédé par l’usufruitier et la nue-propriété par le nu-propriétaire sous réserve parfois du respect de certains clauses telles que celles d’inaliénabilité. Cette clause empêche alors la cession ou transmission de ce droit par le donataire. L’usufruitier et le nu propriétaire peuvent également opter pour une cession conjointe aboutissant ainsi à une cession en pleine propriété. Selon l’article 621 du Code civil, en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. La vente du bien grevé d’usufruit, sans l’accord de l’usufruitier, ne modifie pas le droit de ce dernier, qui continue à jouir de son usufruit sur le bien s’il n’y a pas expressément renoncé.   

Concernant la répartition du prix de vente, dans le cadre d’une cession isolée de la part de l’usufruitier ou du nu propriétaire, la plus-value est calculée en fonction de la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition de l’usufruit ou de de la nu propriété. Dans le cadre d’une cession conjointe avec partage, le prix de vente est partagé entre le nu propriétaire et l’usufruitier en fonction de l’accord établi. Chacun est imposé sur sa part respective de la plus-value. Si le produit de la cession est réinvesti dans de nouveaux titres démembrés, la plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire. En résumé, la cession de droits sociaux démembrés implique une coordination entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, avec des implications fiscales spécifiques en fonction des choix effectués et des circonstances entourant la cession. 

ECP

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