Révocation du gérant

Barre

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La gouvernance des sociétés repose sur un ensemble de mécanismes complexes régissant les relations entre les dirigeants et les actionnaires. Parmi les instruments de régulation, la révocation du dirigeant constitue un élément central, donnant lieu à plusieurs modalités. L’une d’entre elles, la révocation ad nutum, offre aux associés la possibilité de mettre fin aux fonctions du dirigeant sans avoir à justifier leur décision. Cependant, cette liberté n’est pas absolue, la jurisprudence ayant introduit des limites afin d’éviter les abus. D’autre part, la révocation avec justes motifs se fonde sur des raisons légitimes liées à l’intérêt social de la société, créant un équilibre entre la liberté de révocation et la protection des droits du dirigeant. Enfin, la révocation judiciaire émerge comme une mesure essentielle pour surmonter les obstacles pratiques et garantir une prise de décision équitable, évitant l’immuabilité du dirigeant face aux aspirations des actionnaires.  

 

I) La révocation libre du dirigeant dite ad nutum 

 

Comme évoqué précédemment, la révocation peut intervenir ad nutum c’est-à-dire sans le besoin d’exposer un juste motif du fait d’une décision des associés ou actionnaires et ce dès lors que les statuts ne subordonnent pas cette révocation à une telle condition (Exemple SA, SAS). La décision prendra alors effet immédiatement sans le versement de dommages et intérêts sauf clause contraire ou préjudice avéré. En effet, la jurisprudence est venue tempérer la rigueur de cette règle. Cette révocation ad nutum peut donner lieu à des dommages-intérêts en cas de faute commise dans l’exercice de ce droit notamment sur le terrain de l’abus de droit. Ainsi, par une décision prononcée le 26 avril 1994, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a admis que la révocation d’un directeur général, bien qu’elle puisse être décidée à tout moment sans avertissement ni justification spécifique, entraîne la responsabilité délictuelle de la société si cette mesure est jugée abusive compte tenu des circonstances entourant sa mise en œuvre. Cela se produit notamment lorsqu’une révocation est décidée en dehors du cadre du conseil d’administration (étant l’instance compétente pour révoquer les directeurs généraux) et sans donner à l’individu concerné la possibilité de présenter ses observations au préalable (1).  

 

II) La révocation avec justes motifs   

 

Les termes « justes motifs » ne font pas nécessairement référence à une faute de l’intéressé mais doivent être prioritairement analysés au regard de l’intérêt social de la société (2). Le comportement de l’intéressé pourra également être mis en avant. Ainsi, la révocation du dirigeant se justifiera notamment par une faute de gestion, la compromission de l’intérêt social, la compromission du fonctionnement de la société ou le manquement à une obligation légale ou statutaire. Le dirigeant de société ayant des activités définies au sein de la société ne pourra voir sa révocation appréciée qu’eu égard à ces activités (3). A l’inverse, le justif motif ne pourrait être apprécié si les associés avaient simplement la volonté de nommer un gérant de leur choix, si le gérant avait refusé d’appliquer un plan de redressement ou si encore la révocation aurait pour origine un conflit relevant du droit du travail. Si la révocation intervient sans justifs motifs elle pourra donner lieu au versement de dommages-intérêts conformément à l’article L223-25 al 1 du Code de commerce. Cependant, dans un arrêt de la Cour d’appel de Reims, il a été jugé qu’une SARL pouvait révoquer son gérant pour justes motifs même si ces motifs n’ont pas été préalablement portés à la connaissance du concerné et même si ce dernier n’a pas pu s’expliquer. Ainsi, le manquement de la société à son obligation de loyauté n’emporte en lui-même aucune conséquence quant à la justesse des motifs ci ce n’est l’allocation de dommages-intérêts la révocation ayant eu un caractère brutal, abusif et vexatoire (4).   

 

III) La révocation judiciaire du dirigeant social  

 

La révocation judiciaire est une mesure nécessaire pour éviter l’immuabilité du gérant en place. En effet, lorsque les associés décident de révoquer le gérant, cela implique généralement la tenue d’une assemblée générale. Cependant, cette responsabilité incombe au gérant lui-même, qui peut ainsi refuser de convoquer ladite réunion. De plus, le gérant peut détenir la majorité lors des assemblées, rendant difficile l’obtention de la majorité requise pour la révocation. Les associés qui demandent la révocation judiciaire du gérant doivent étayer leur demande en présentant une cause légitime. À titre d’exemple, il a été jugé qu’une raison légitime de révocation judiciaire pouvait résulter du défaut du gérant de convoquer l’assemblée dans les délais légaux, soit dans les six mois suivant la clôture des comptes annuels (5). Ainsi, la révocation judiciaire s’avère être une procédure importante pour maintenir l’équilibre dans la gestion de la société. 

 

  1. Cass. com., 26-04-1994, n° 92-15.884 
  2. T. com. Paris, du 25-02-1992, Dr. Sociétés 1992 n° 169 
  3. CA Paris du 04-11-1992, 3 e ch. section A, n° 90-018905, Sté Conseil Organisation c/ Martel). 
  4. CA, Reims, 14 Juin 2022, n°20/01366 
  5. CA Paris du 25-04-2000, 1re chambre, section A, n° 1998/16203, M. Uzan c/ SARL Etablissements Lionel 

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