La liberté contractuelle, principe fondamental régissant les négociations commerciales, offre aux parties l’autonomie de les engager ou de les rompre à leur discrétion. Cependant, cette liberté n’est pas absolue, et ses contours se redessinent lorsque la rupture des pourparlers entre en jeu. Cet article explore trois axes de développement pour comprendre les nuances de la liberté contractuelle et les responsabilités liées à la rupture des négociations.
I) La rupture des pourparlers : un droit
L’article 1102 du code civil est clair : « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. ».
La liberté contractuelle offre un terrain propice aux négociations, permettant à chaque partie de les engager ou de les rompre sans faute apparente. Cependant, il se peut qu’une partie au cours des négociations décide de rompre de façon légitime ces dernières notamment lorsqu’une incertitude significative plane sur la conclusion du contrat. Est également légitime une rupture des pourparlers intervenant dès suite d’un aléa extérieur modifiant alors les prévisions précédemment anticipées (ex : augmentation des coûts liés) ou encore une rupture intervenant dès suite d’un blocage des négociations. De plus, il se peut que la perte de confiance en la personne du co-contractant justifie une rupture lorsque cette confiance était déterminante pour la conclusion du contrat. Cependant, lorsque les pourparlers sont rompus de façon fautive, cette rupture peut alors entrainer l’engagement de la responsabilité délictuelle de l’auteur de cette rupture.
II) Engagement de la responsabilité délictuelle en cas de rupture fautive
Si la liberté de rompre les pourparlers est un droit, elle n’est pas sans limite. La rupture fautive nécessite la démonstration d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité par la victime. En effet, la rupture d’une relation commerciale établie qui entraînerait la rupture des pourparlers ne constitue pas forcément une faute ni ne caractérise un abus dans l’exercice du droit de rompre ces pourparlers, la preuve de la faute devant être rapportée par la partie qui s’estime victime. Cass. com., 18 nov. 2020, no 18-25.709 ; Cass. com., 20 nov. 2019, no 17-26.541. L’auteur de la rupture peut donc voir sa responsabilité délictuelle engagée sur le terrain de l’article 1240 et 1241 du Code civil, la rupture intervenant en amont de la conclusion du contrat. Le juge évalue au cas par cas le comportement de l’auteur de la rupture, en comparant ses actions à celles d’une partie « honnête et diligente ». La durée des négociations, la brutalité de la rupture, et la croyance en la bonne foi deviennent des critères déterminants. En effet, une partie ne faisant pas preuve de bonne foi mais faisant durer les négociations pour soutirer des informations au cocontractant ou l’empêcher des conclure avec un tiers et n’ayant pas l’intention dès le départ de contracter pourra notamment voir sa responsabilité engagée. L’inverse est également vrai. De plus, une rupture peut être considérée comme fautive, lorsque les discussions ayant duré, l’autre partie ayant foi en la bonne fin de l’opération a accompli des actes, des engagements financiers, a dévoilé des secrets commerciaux, …
III) Conséquences financières et indemnisation
La victime d’une rupture abusive peut demander des dommages et intérêts. En cas de rupture fautive, l’indemnisation se base sur le préjudice réellement subi par la victime. A l’inverse, la réparation du préjudice ne pourra avoir pour objet la compensation de la perte des avantages attendus de la conclusion du contrat. Les dépenses engagées, les frais de voyage, et le temps perdu et l’atteinte de l’image de la victime seront quant à eux pris en compte. Si les négociations avaient pour but de soutirer des informations commerciales ou des techniques brevetées, une action en concurrence déloyale pourrait être initiée. La faute de la victime pourra quant à elle réduire proportionnellement le montant de l’indemnisation.
En conclusion, la liberté contractuelle dans les pourparlers est un équilibre subtil entre droit et responsabilité. Les justifications de la rupture, la détermination de la faute, et les conséquences financières mettent en lumière les limites de cette liberté. La vigilance dans la conduite des négociations et la compréhension des mécanismes juridiques associés à la rupture des pourparlers sont essentielles pour toutes les parties engagées dans des négociations commerciales.
IV) Le rôle de l’expert-comptable dans l’évaluation du préjudice
L’expert-comptable peut être investi d’une mission d’expertise judiciaire concernant l’évaluation du préjudice économique résultant d’un sinistre ou nuisances subis par la victime. Quel est alors le rôle de l’expert ? Doit-il mener des investigations afin de prouver le préjudice économique ou bien ce rôle revient – il à la victime, l’expert se contentant de vérifier ce qui lui est présenté. En cas de contradictions entre les allégations de la victime et les investigations de l’expert, quelles données sont retenues ? Selon la jurisprudence présente sous l’article 5 du Nouveau Code de Procédure Civile, le rôle de l’expert est de « déterminer les causes de désordres et les remèdes à y apporter ». L’expert est alors investi d’une mission qu’il tient du juge et dont la réalisation est sous son contrôle. Ainsi, il sera tenu par des mêmes obligations procédurales que lui. Il serait alors intéressant de se demander quelle liberté est laissé à l’expert-comptable agissant sous la tutelle du juge. Selon l’article 5 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC), la jurisprudence met en avant la liberté dont dispose l’expert dans ses travaux. Elle stipule que « la mission donnée à un expert est d’indiquer éventuellement les sommes qui pourraient être dues si le chef de demande correspondant était formulé ». En d’autres termes, l’expert a la possibilité d’estimer un préjudice au-delà de ce qui est explicitement demandé par les parties. Cette approche offre la faculté à un juge, s’il estime ne pas pouvoir accéder à la demande initiale, d’indiquer ce qui aurait pu être pris en considération. L’expert doit agir strictement conformément à la mission qui lui a été confiée par le juge, sans être contraint par les prétentions des parties, car son rapport ne constitue en aucun cas le jugement final. En exerçant dans le cadre d’une mission clairement définie, comme stipulé à l’article 5 du NCPC (4), l’expert évalue et fournit au juge les informations requises, sans « aider de fait » l’une des parties. Son rôle est de servir à l’information du juge et de répondre à ses demandes, sans être lié, a fortiori, par les seules demandes des parties, qui peuvent évoluer tout au long de la procédure. (1)
(1) Robert POIRIER Président CNECJ Section Autonome de Rennes – Anger